Saturday 17 October 2009

93, le sommet d’un iceberg

Si, comme je le crois, il s'agit du premier film de Myriam Clericuzio, il faut dire qu'elle fait ses débuts avec une assurance et une maturité artistique remarquables. Ce petit court-métrage de six minutes est d'une cohérence esthétique et d'une intensité spirituelle telles qu'on a immédiatement la nette et agréable impression de se trouver devant une artiste qui a quelque chose à raconter et qui maîtrise les moyens pour le faire.

Avec une série de plans rapprochés et de gros plans rythmés, courts, parfois d'une brévité presque subliminale, Myriam « télescope » le temps pour nous donner un aperçu de la vie intérieure d'une femme : personnage à la fois obsessionnel, tendre, énigmatique et touchant ; et finalement, quand nous sommes déjà conquis par cette expérience fascinante qui nourrit notre imagination depuis cinq minutes et quelques secondes, l’artiste parvient encore à nous bouleverser avec un dénouement aussi inattendu que réussi: un petit coup de théâtre qui est la cerise sur le gâteau.

Pas de frime dans ce film, pas de belle fille qui fait des moues devant la camera ou qui se promène sur la plage au coucher de soleil ; pas d'attitudes de rock star ou rap singer de pacotille ; pas de nihilisme de lycéenne. Le personnage (interprété par Myriam elle-même) est délibérément intemporel, oniriquement sensuel, mais à la fois (et paradoxalement) vivant, matériel, d'une corporalité attendrissante, presque tangible, qui fait du bien et nous repose des stéréotypes dont fourmille l’univers audiovisuel inflationniste de nos jours.

Intercalés avec quelques plans plus longs, les gros plans très courts, minimalistes, sont modulés et articulés dans un subtil crescendo autour d'un thème centrale (la préparation de la nourriture) qui rehausse la cohérence de l'ensemble et qui, en évoquant cette matérialité de l'être humain, son besoin de nourriture physique, évoque aussi, en contrepoint, sa fragilité et son besoin de nourriture affective. Si le thème culinaire est plutôt à la mode ces derniers temps, son traitement en 93 est très original par l'économie des moyens déployés, l'intensité du sentiment, l'absence d'esthétisme gratuit ou de volonté d'épater le spectateur par caprice ou par jeu: tout semble avoir un sens et une fonction dans ce court-métrage. Il naît, manifestement, du besoin de communiquer, avec urgence et passion, un sentiment profond, une problématique vécue dans la chair ; et chaque détail – y compris l’emploi du son et de la musique – est subordonné à cette fin. Cependant, nous n’avons pas à faire à un « film à thèse », avec un « message » univoque et plat. Au contraire, 93 est une œuvre d’une complexité sémantique et psychologique considérable, en dépit de sa brévité et de son approche minimaliste ; approche qui d'ailleurs n'empêche pas la modulation ni même pas une certaine variété des formes, dont l'exemple le plus saisissant est le mime que Myriam interprète à plusieurs reprises et qui, véritable genre dans le genre, trouve sa place, tout naturellement, dans la texture du récit.

Bref, 93 est un petit bijou ou, si vous préférez, un bourgeon, une première pousse qui, comme le sommet de l'iceberg de Hemingway, laisse deviner, submergé au-dessous de la surface, dans le cœur et l'esprit de l'artiste, un trésor beaucoup plus vaste d'expériences, d'émotions, de sujets à explorer. Si tout va bien, Myriam ne manquera pas de nous en offrir encore, de ces richesses: elle est en train de préparer deux nouveaux courts-métrages. Nous les attendons avec impatience.



Pour voir 93, cliquez ci-dessous :





© Copyright Allan Riger-Brown 2009



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